De la manipulation à l’intellectualisation par le jeu
Dans le but de favoriser les apprentissages dès le plus jeune âge, il est nécessaire de faire la liaison entre travaux manuels et intellectuels de façon équilibrée, l’un venant compléter l’autre, l’un ne pouvant exister sans l’autre. Il n’y a qu’à partir de ces deux données que la transmission peut s’opérer correctement, de façon souple et inclusive.
C’est ainsi que lors de mon expérience avec le MuMo, nous élaborions, ma collègue et moi-même, des ateliers pratiques en amont ou en aval de la visite. (Par ailleurs, les visites que nous organisions n’étaient pas des visites classiques à proprement parler mais c’est un autre sujet qui sera développé dans un article autour de la déduction construite par le biais l’imagination.) Pour revenir aux ateliers. Ces ateliers étaient toujours en lien avec la visite effectuée. Cela permettait d’assoir un concept énoncé oralement en le passant sur le plan manuel. Ces ateliers prenaient la forme d’un jeu qui était scénarisé par nos soins.
Pourquoi le jeu ?
Le jeu est associé à la notion de plaisir tandis que le travail, sous-entendu les apprentissages, sont attribués à une chose nécessaire et de surcroît fastidieuse. Pourtant l’apprentissage peut être associé au jeu et donc au plaisir, plus encore, il doit passer par le jeu pour être efficace. Le jeu a ce principe fondamental qu’il est basé sur la volonté. Plus d’un penseur et pédagogue se sont attardés sur la question du jeu dans les apprentissages.
Roger Caillois dans son ouvrage, Les jeux et les hommes, considère le jeu
[…] comme une activité libre et volontaire, source de joie et d’amusement. Un jeu auquel on se trouverait forcé de participer cesserait aussitôt d’être un jeu : il deviendrait une contrainte, une corvée dont on aurait hâte d’être délivré. Obligatoire ou simplement recommandé, il perdrait un de ses caractères fondamentaux : le fait que le joueur s’y adonne spontanément, de son plein gré et pour son plaisir […] (p.21)
La simple volonté chez un enfant peut le porter très loin dans la recherche de ses propres connaissances. Il n’attendra pas passivement qu’un adulte doté d’une autorité supérieure lui dise d’effectuer des recherches. S’il est stimulé par la volonté de trouver réponses à ses questions, par la volonté d’en apprendre davantage dans un domaine, il adoptera lui-même un caractère de « chercheur de structures », c’est comme cela que le nomme Bruner
il [l’enfant] cherche à établir des régularités dans ce qu’il vit et essaye de trouver une structure significative pour organiser des éléments a priori sans lien
p.49 J.Bruner et l’innovation pédagogique, Britt-Mari Barth.
La même question peut sans encombre se poser à des adultes, pourquoi devrait-il y avoir un gouffre entre l’épanouissement et la productivité. Dans nos sociétés contemporaines on considère ces deux notions comme antonymes alors qu’elles peuvent justement se compléter dans ce sens : une personne épanouie sera forcément productive parce qu’elle aime ce qu’elle fait et qu’elle le fait bien, l’inverse est voué à l’échec. Appliquons ce constat aux enfants et aux manières de leur enseigner des connaissances.
Ne devrait-on pas encourager les enfants à être volontaires dans leurs apprentissages, à avoir envie d’apprendre et que par conséquent ils prennent du plaisir à apprendre ? Une fois cette question posée, la réponse paraît évidente.
Le jeu est donc une des solutions possibles qui permet de stimuler la volonté d’un enfant. Utilisé au sein des apprentissages, le jeu se révèle déterminant : il sollicite les différents sens et les lies à l’intellect pour créer, un schéma, un modèle, une déduction. Si l’on prend le temps d’observer un enfant jouer il prendra systématiquement un objet dans ses mains, il le regarde pour se rappeler et pour comprendre, il mobilise le langage pour raconter une histoire ou pour énoncer oralement ses choix, ses actions, ses déductions puis, s’il ne joue pas seul, il entendra son.sa.ses camarade(s) faire de même. Le jeu est un acte naturel qui offre à l’enfant non seulement la notion de plaisir, mais développe également son environnement social, sa capacité de réflexion, encourage sa créativité et son imagination.
Jouer n’est pas synonyme d’absence de cadre et de structure. Encore une fois il ne faut pas distinguer épanouissement et délectation de la productivité. Tout jeu est constitué de règles fixant un cadre d’actions, de temps et d’objectifs. Ce sont ces règles qui indiquent ce qui est ou n’est pas jeu « car rien ne maintient la règle que le désir de jouer, c’est-à-dire la volonté de la respecter. Il faut jouer le jeu ou ne pas jouer du tout », Roger Caillois, Les jeux et les hommes, p.14. C’est dans cette dimension que le jeu a son importance et qu’il est par définition libre. Les joueurs s’appliquent par envie et non par devoir, d’où l’intérêt de le joindre à l’apprentissage puisque l’enfant développerait une curiosité libre où le savoir n’y est pas commandé, ni ordonné.
Le jeu sous-tend le geste
Le jeu est véritablement au cœur des pédagogies alternatives et construit même le socle de la connaissance. Ces pédagogies sont une éducation à la liberté et la liberté est la condition de la réussite à l’éducation. Comme nous avons pu le voir en amont, le jeu est une activité naturelle et volontaire synonyme de liberté. C’est pourquoi il serait regrettable de ne pas se servir du jeu comme clé vers les apprentissages et la connaissance. Comme induit précédemment, le jeu à cette faculté de lier les sens à la compréhension.
Donnons un exemple concret. Au sein de la pédagogie Montessori, il est d’usage d’entrer dans l’apprentissage de l’écriture et de la lecture par le biais des lettres rugueuses.
Le principe ?
Il s’agit de plaques, représentant toutes les lettres de l’alphabet écrites de manière cursive. Ces lettres ont une texture rugueuse, la plaque quant à elle, a une texture lisse ce qui permet à l’enfant de distinguer au toucher la forme de la lettre. Ces plaques sont teintes, les plaques rouges mettent en avant les consonnes, les bleues mettent en avant les voyelles. L’enfant choisit une lettre, la pose à plat, la suit du bout des doigts, renseignant l’enfant sur le mouvement de l’écriture, l’amorce, le sens, la trajectoire du geste puis il termine en énonçant oralement le son de cette lettre. Cet outil sensoriel par son usage tend vers la connaissance par l’intermédiaire du jeu. De même, j’ai eu l’occasion d’assister à des situations où les enfants eux-mêmes transforment ce jeu en un jeu à plusieurs où la devinette et l’entraide sont au coeur du processus.
En bref
La connaissance active implique le mouvement et sous-entend bien évidemment la manipulation d’objet. Cette manipulation est complétée par la vue et même par la tête puisque de ces deux premières expériences sensorielles on peut en dégager un concept. Cette manière d’aborder les apprentissages surtout par le prisme du jeu engendre d’autres comportements chez l’enfant. Celui-ci est responsabilisé, autonome et surtout concentré. Les dispositifs et objets mis en place dans les écoles alternatives mobilisent la concentration des enfants. Celle-ci si développe parce que l’enfant a fait le choix l’activité et qu’il met toute sa motivation pour l’accomplir sans que rien ne soit demandé ou attendu de la part d’un adulte. On en revient donc toujours à la liberté.
Références
https://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1985_num_66_1_3656
https://www.cairn.info/revue-ela-2003-2-page-179.htm#
https://sb3e62f4f5af38a46.jimcontent.com/download/version/0/…/BRUNER.pdf
https://www2.espe.u-bourgogne.fr/doc/memoire/mem2005/05_0361979F.pdf
Caillois Roger, Les jeux et les hommes, Éditions Gallimard, 2009.